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Grandir, c’est devenir autonome

Valérie Combes Desjardins : Dans ce titre, ‘grandir’ est indissociable de ‘devenir autonome’. L’enfant est considéré comme  actif dans la construction de son autonomie. C’est lui qui vous guide pour mieux agir auprès de lui, et il est sous-entendu que devenir autonome permet l’épanouissement.

En thérapie, comme psychologue clinicienne psychothérapeute, je ne suis pas dans l’apprentissage. Je n’ai pas l’objectif de transmettre un savoir quand je rencontre un enfant, comme vous, parents, l’important est la rencontre de l’autre dans l’altérité et dans la différence avant même la transmission de connaissance. Il ne faut pas oublier cette priorité qui est au cœur d’un processus d’autonomie surtout pour les enfants qui ont des troubles graves de la communication.

Ces enfants nous rappellent beaucoup plus que d’autres que c’est de la différence que vient la communication.

Quand je vais vous parler d’un enfant dysphasique, je ne vais pas avoir en tête la qualification de ses symptômes. Je suis dans le même état d’esprit que vous. Ce qui va caractériser mon intervention ici c’est le lien de filiation, c’est-à-dire, moi, en tant que parent, que dois-je faire pour autonomiser mon enfant ? Et moi, en tant qu’enfant, que dois-je faire pour être plus autonome ?

Ce qui va s’échanger aujourd’hui peut être appliqué à toutes relations parentales.

Donc l’autonomie s’acquiert par la transmission des règles, c’est parce que vous donnez des repères à vos enfants qu’ils vont devenir autonomes, c’est votre devoir de parent. Quand vous pensez au fait d’aimer vos enfants, l’idée qui va venir, c’est d’être proche, c’est d’être avec. Quand vous éduquez, vous êtes dans une séparation avec l’enfant : il est de l’autre côté de la barrière et vous lui transmettez quelque chose, vous lui demander de suivre ce repère. Vous avez sans doute l’impression quand vous transmettez une règle de ne pas vivre un moment teinté d’amour. En réalité, le résultat de cette transmission de règles est que vos enfants peuvent aimer d’une autre manière. Ils  aimeront d’autres personnes en dehors de la famille. L’objectif final de l’éducation, c’est de permettre à l’enfant de partir dans une société avec d’autres cultures. Là, il y a rien de propre à l’enfant qui a des troubles du langage. C’est vrai pour tous les enfants. Cette transmission se fait obligatoirement en présence de l’autre et obligatoirement par la parole. Il faut l’ensemble d’une personnalité pour acquérir la règle.

Pascal J. : Une des difficultés lorsque les enfants arrivent à l’adolescence, c’est qu’on les a surprotégés, on a tellement eu du mal pour trouver des solutions pour eux, du coup, après, pour les rendre autonomes, on a encore plus de problème à lâcher.

Olivier B. : Si éduquer, c’est mettre de la distance et aimer c’est être proche, éduquer dans l’amour est un paradoxe dans le cadre du langage, c’est encore plus difficile, car on a besoin encore plus d’éduquer, notamment sur les aspects du langage.

Valérie Combes Desjardins : Oui, il y a une surprotection.

Nathalie A. : L’aspect médical est important, car l’enfant dysphasique a des frustrations, il a tendance à s’isoler, a avoir une faible estime de soi, on ne peut pas aborder leur psychologie de la même manière que pour un enfant ordinaire. En tant que psychologue, vous allez rééduquer cet enfant-là, mais il y aura ce fond qui restera.

V.C.D. : En tant que psychologue, j’éduque l’enfant par ma parole qui est dans la loi, à chaque fois que je m’adresse à lui quelque soit le sujet, je lui transmets les repères fondamentaux de la loi qui nous structure. N’étant pas dans la filiation avec l’enfant, les repères dans ma parole sont plus « objectifs », aucune histoire transgénérationnelle ne vient les imprégner. Les repères sont plus faciles à capter pour l’enfant. En ma présence, l’enfant touche au plus intime de lui, de même lorsque vous vous adressez à un bébé, les repères fondamentaux se transmettent et s’inscrivent au plus intime de lui. Lorsque le bébé vit le rythme du corps de sa mère qui est pris dans un rythme de la journée, le bébé enregistre tout ce qu’il vit selon un rythme, donc selon un cadre, ce qui crée les repères. Il fait des comparaisons et décode sur le corps par sa perception, les mouvements, les odeurs, le toucher…Il voit, entend et construit tout un système de compréhension de ce qu’il vit, à partir de vous les parents. Quand vous êtes en présence d’un bébé et que celui-ci a une importance fondamentale pour vous, il y a quelque chose en vous, dans votre voix, sur votre corps qui s’organise, centrée sur ce petit être. Vous avez une cohérence sur l’ensemble de votre corps et dans la manière de vous comporter, et c’est grâce à cela que le bébé construit du sens.

Si un enfant a des défaillances qui l’empêche de manière fluide et cohérente de construire le système de décodage pour que le mot émerge, ce petit bébé doit se battre pour rester en communication et inconsciemment, vous compensez dès le début de la vie, vous avez une attitude différente. Ce n’est pas au moment où l’on en a conscience, mais c’est dès le début que vous avez changé votre manière d’être.

Il y a alors une surprotection. C’est pour cela que je commence la conférence sur la transmission des règles ou des repères, car c’est quelque chose qui est fait pour protéger, c’est-à-dire qu’on remplace la « surprotection »  par la règle : on transmet un repère pour que quand on n’est pas là, il se protège. On devrait le faire simplement, on ne devrait pas mettre nos affects et dire « Fais-moi plaisir, va prendre ton bain ! ».

Tant que l’enfant n’a pas les processus pour être autonome, il a besoin de vous, et plus précisément d’une présence corporelle, c’est pour cela qu’il veut que vous veniez trois fois dans la chambre pour qu’il vous voit et que vous lui disiez de prendre son bain.  Par contre, certains enfants ont les processus d’autonomie acquis mais ils abusent de la relation et ils vous font venir alors qu’ils savent très bien qu’ils doivent aller le prendre ! Voilà une règle qui est mal transmise. Voilà une autonomie qui ne se construit pas.

Patricia D. : Et pourquoi elle ne se construit pas ?

V.C.D.: Il n’est sans doute pas évident pour l’enfant et le parent que la vie soit plus agréable dans l’autonomie. Des éléments inconscients chez le parent permettent à l’enfant de ‘manipuler’ son parent. Un peu comme un jouet télécommandé, il vous fait venir trois fois et répéter une chose qu’il sait déjà depuis longtemps. Une parole trop répétée n’est plus efficace.

Patricia D. : Oui, mais concrètement ?

V. C.D. : Le parent prend conscience de l’inefficacité de la situation et les processus repartent d’eux même. Le parent doit avoir en tête de construire l’autonomie et la responsabilité de l’enfant. Dans ce cas c’est la responsabilité de prendre soin de son corps en le lavant.

Nathalie A. : Puisque les enfants dysphasiques ne se détachent pas du moment présent, ils ont donc une particularité ?

Françoise S. : Est-ce que cela veut dire que pour éduquer un dysphasique, il va falloir être plus dans le combat ?

V.C.D. : Non, pas dans le combat. La règle est un cadeau. L’enfant ne prend la règle que si elle est ferme et sans piquant, sans agressivité.

Dès le début, vous ne le savez pas, mais vous les construisez pour qu’ils vous quittent.

L’autonomie de l’enfant dysphasique est difficile à atteindre puisqu’il compense la défaillance de son système perceptif en utilisant le corps de l’autre pour créer son contact à la réalité. A un niveau microscopique, il capte sur votre corps parental ce que lui ne peut pas construire sur le sien dans une expressivité corporel. Le système qui décode et construit l’expression des émotions est défaillant, l’enfant utilise le système de l’autre. On comprend qu’il faut donc être habité de manière rigoureuse par l’altérité pour favoriser l’autonomie de l’enfant. La gestion des émotions doit rester un système spécifiquement personnel, or dans une relation avec un enfant dysphasique la gestion des émotions est partagée.

Le système qui gère les émotions se construit alors que le bébé est dépendant du parent. Le parent transmet un système que le bébé ensuite utilise selon sa personnalité. Alors que l’enfant dysphasique ne peut pas construire un système de décodage subtil, le sien reste à un niveau assez grossier. Il faut avoir conscience de cela et l’accepter ainsi que les conséquences.

Edwige B. : Dans le cadre de l’accompagnement, de l’aide aux devoirs, de la traduction, comment placez-vous cette autonomie ? Car nous autres parents, nous sommes des professionnels pour trouver les astuces pour traduire et adapter !

V.C.D. : Vous serez d’autant plus de bons éducateurs que vous affinerez votre écoute plus que votre parole. Plus nous améliorons notre écoute, plus notre parole est entendue.

Je vais vous décrire des situations idéales : d’abord parler en présence de l’enfant. Allez dans sa chambre avec un état d’esprit d’écoute avant de parler. Si vous êtes dans une réception, l’enfant en face est réceptif. Vous déclenchez la réception par votre réception. La réception, c’est une détente, c’est quelque chose de physique et corporelle. Il est préférable que vous soyez en face de lui et pas à côté. Il faut qu’il arrête de jouer quand vous commencez à parler, donc il faut qu’il perçoive votre corps à une distance de culture (en France, c’est 1 m 50).  Cela demande du temps. Cela veut dire qu’on a inscrit la parole dans un temps. Vous êtes sujet, vous n’êtes pas manipulé. Ça c’est un point clef. Vous devez mener votre parole. La parole ne doit pas être lancée sans construire un point de réception. Donc, vous êtes disponible pour lui dire de prendre son bain. Lui, il s’est arrêté de jouer, il vous a regardé.

Il faut favoriser l’écoute, l’acceptation c’est accepter cet être humain tel qu’il est. Cela signifie que vous n’êtes pas déçu de ce que vous vivez. Cela veut dire que vous lui renvoyez que la communication vécue n’est pas un échec. En fait, ce qui est important, ce n’est pas qu’il aille prendre son bain (si ?!) (Rires), c’est surtout qu’il intègre la règle, qu’il soit respecté, que vous soyez respecté, c’est cela éduquer, ce n’est pas qu’un enfant soit propre tous les soirs.

Chaque fois que vous parlez, c’est très précieux. Tout ceci est valable pour n’importe quel enfant.

Agnès L. : Je ne suis pas d’accord avec vous ! J’ai un enfant de 23 ans. J’ai compris uniquement quand l’orthophoniste m’a dit que le dire avec la parole ça ne pouvait pas marcher, mais qu’il fallait montrer.

V.C.D. : Quand un enfant vous perçoit, il connaît les rythmes de votre corps, les intonations de votre voix, mieux que vous presque, puisque vous l’avez porté ! Un bébé qui ne parle pas, il doit vous sentir, vous toucher, vous regarder, vous entendre pour que votre expression soit cohérente. Il fait des comparaisons pour comprendre d’une fois sur l’autre le message. Si vous êtes troublée, votre expressivité est confuse, cela vous échappe, l’enfant, lui, ne peut pas décrypter « va prendre ton bain », parce que derrière, il y a « encore une fois, on ne se comprend pas ! Mais qu’est-ce que j’ai fait, qu’est-ce qu’il a ? ». Donc, il ne comprend pas et il a raison de ne pas comprendre. Il y a tout un travail à faire de compréhension de la situation. Si vous faites des gestes peut-être que cela crée chez vous une cohérence plus facile. Mais en réalité, vos gestes sont inutiles pour lui, c’est sur vous que cela a un effet.

Quand on est de mauvaise humeur, la communication ne marche pas en général : les adultes font des efforts, les enfants, non, et ils ont raison. Eux se servent de l’indicible, d’où le rôle du toucher et l’importance des gestes. Ils vont utiliser des processus que le bébé utilise, mais que nous nous utilisons beaucoup moins.

Quand la communication ne passe plus, posez la main sur son épaule, il y a une vibration qui passe. Il faut trouver les moyens de se mettre dans le champ de la langue, le moyen est le toucher.

Edwige B. : Et quand il ne veut pas essayer de travailler seul ?

V. C. D. : Le bébé apprend dès le début de sa vie les règles, l’ancêtre de la règle, c’est le rythme. Quand il est in utero, il est baigné par le rythme de la langue. C’est une langue organisée par une grammaire, une structure et des codes. Il ya malgré vous, malgré l’enfant, une défaillance de l’organisation d’un code dans la communication, corporellement à un niveau microscopique. Quand vous êtes en face de votre ado, vous compensez un système de repère qu’il n’a pas pu intégrer spontanément. Instinctivement, vous le faites parce qu’il en a besoin.

C’est à un niveau très subtil, l’important est la manière dont vous vous représentez la relation. Vous n’êtes pas une béquille, mais vous acceptez que votre adolescent a une défaillance dans la communication est qu’il doit vivre avec cette défaillance.

Edwige B. : Nous sommes surtout des traducteurs, pas seulement des répétiteurs !

V. C. D.: Vous croyez être un traducteur « objectif ». En réalité, vous intervenez chez votre enfant à un niveau très intime qui l’attache à vous et qui l’empêche de prendre son indépendance. Parce que vous ne traduisez pas de la connaissance mais vous imprimez un style dans votre traduction qui est très personnel. Ce style ne peut pas appartenir à quelqu’un d’autre.

Edwige B. : Il y a un mode de communication parallèle et il y a très peu de personnes en dehors de la cellule familiale qui va trouver le bon mot, qui va savoir à quel souvenir l’enfant fait référence. C’est donc très difficile de faire intervenir une tierce personne ?

V. C. D. : Même si c’est difficile, c’est exactement ce qu’il faut faire. On va défavoriser la qualité de l’apprentissage pour favoriser la qualité intrinsèque de l’humain, de la relation. Il est préférable qu’une autre personne intervienne, même si elle est moins compétente parce que pour l’ado, c’est une ouverture au monde. Il ne faut pas attendre la maturité. Il ne faut pas attendre que l’enfant le demande.

L’idée c’est : je fais le deuil d’une certaine compétence et je favorise l’ouverture au monde.

Si la relation avec l’enfant a un socle commun dû au système de décodage de l’émotion qui est commun, on a tendance à le penser de l’intérieur, à imaginer son intériorité. C’est insupportable pour l’enfant. Le parent doit prendre sur lui et s’adresser à l’enfant dans une franche altérité en acceptant les limites de ses capacités. Le parent ne doit pas faire de la prévention un mode régulier de communication. Cet état de fait signifie que cet enfant-là, vous ne le considérez pas comme un être exceptionnel, comme un être qui va vous surprendre. Il ne peut pas vous surprendre, il le sent très fort et cela freine l’évolution.

Il est nécessaire de comprendre ce qu’est la dysphasie pour que quelque chose se pose en vous et vous apaise, qu’elle soit reconnue par la société. Mais après, en tant que parent, par respect vis-à-vis de l’enfant, on ne doit pas le penser de l’intérieur.

S’adressant aux ados : Nous, nous sommes vieux, c’est vous qui nous apprenez ce qu’est la société d’aujourd’hui.

Nathalie A.: Un enfant dysphasique est très lent et n’a pas conscience du temps.

V. C. D. : Comme le rythme n’a pas pu être reçu de manière cohérente au début de la vie, le rythme dans le groupe va être difficile à suivre. Comment pallier ce dérapage qui gêne la vie du groupe tout en respectant son autonomie ?

Nathalie A. : Comment le réveiller pour qu’il comprenne qu’il faut enchaîner les taches : se laver, déjeuner, s’habiller, aller à l’école…

V. C. D. : On va pose une règle de vie qui l’amène à ne pas déraper dans le temps : des gestes très simples, des petites choses et cela est présenté à l’enfant pour qu’il se sente responsable et fier de ne pas gêner le groupe. C’est un travail de longue haleine, il n’y aura pas de résultats dès les premiers jours. Il y a tout un jeu de construction, il faut que l’enfant sente qu’il n’est pas le boulet de la famille, on ne peut pas être autonome sans du plaisir. Quand on parle à l’enfant pour poser tout un cadre qui lui permette de se repérer dans le temps, ce qu’on travaille, ce n’est pas l’efficacité du système qu’on pose, c’est voir s’il se sent responsable. Il faut être attentif à l’état d’esprit. On protège la famille et en même temps, on travaille le fait qu’il se sente responsable, fier de ne plus gêner le groupe, car il n’apprécie pas cette tension qu’il crée, ça le rend malheureux, il est piégé et l’entourage est piégé, ce qui est important est de retrouver du plaisir dans la vie quotidienne et ne pas attendre des résultats dans l’immédiat.

Patricia D. : Très souvent, on est sollicité comme traducteur : quand notre enfant communique avec d’autres personnes, il fait référence à certains faits qui sont dans sa tête et pas dans sa parole, et pourtant il pense avoir délivré le message adéquat, mais malheureusement la personne ne comprend pas.

Parfois, il ressent des angoisses dans la vie quotidienne, quand les psy ne sont pas là, et que parfois même le psy n’arrive pas à décoder. Nous, parents, il faut qu’on trouve une solution, et se positionner à l’intérieur et non à l’extérieur, car on est là pour être la béquille, pour compenser. La difficulté est qu’on aimerait prendre du recul, mais malheureusement on ne peut pas retirer toutes les béquilles et on ne peut pas être à l’intérieur de ce qu’il peut penser.

V. C.D. : C’est tout un programme, tout un projet qui ne doit pas se limiter à deux : à l’enfant et à la mère.

Patricia D. : Ça, on l’aimerait bien et on le provoque, mais il n’y a pas beaucoup de remplaçants !

V. C. D. : Déjà, s’il y a le père, ça fait trois. Plus vous serez de traducteurs, moins vous serez indispensables et plus il sera autonome.

J’ai bien compris qu’il y a un tel passé, une telle histoire, qu’il y a un traducteur favorable qui est la maman. Il y a quelque chose qui est tout à fait normal et en même temps, c’est un piège. Ce n’est pas parce qu’un enfant a une difficulté que vous devez être plus à l’écoute de son angoisse, même si c’est plus difficile de supporter sa dépression, sa tristesse et son angoisse. Il faut lui donner du temps pour que lui-même transforme cet état. S’il n’apprend pas en votre présence — mais sans que vous soyez vraiment actifs à l’intérieur de lui —, à dépasser ces moments-là, il ne l’apprendra pas après, il ne peut que l’apprendre en famille. Ce qui est important, c’est d’avoir confiance en lui, se dire que vous êtes présente mais que vous n’êtes pas sujet pour transformer l’angoisse, l’anxiété, la tristesse. Ceci est le travail du psychologue. Le psy n’a pas besoin d’un traducteur. Si on exige cela de vous, ce n’est pas normal.

Patricia D. : Mon enfant n’avait pas le lexique pour pouvoir échanger. Par exemple, si un copain le chahute, il ne va pas forcément décrypter la relation qui s’échange entre eux, car l’enfant dysphasique ne comprend pas toujours la signification du mot. Autre exemple, dans la voiture, je lui apprends que sa maîtresse va partir en stage et il avait les larmes aux yeux, c’était à moi de décoder ce qui n’allait pas. Je lui ai expliqué le mot « stage » et en arrivant à la maison, c’était fini, tout allait bien, pourtant il a fallu que j’aille chercher ce ressenti. Finalement, ce qui est difficile dans la dysphasie, c’est qu’il y a des mots que l’enfant n’arrive pas à comprendre la signification.

V. C. D.: Je pense que l’enfant est beaucoup plus actif que vous ne le pensez. En fait, quand vous dites « il avait les larmes au bord des yeux », vous n’êtes pas allée chercher quelque chose. C’est là où je ne suis pas d’accord. En fait, ces enfants ont, l’air de rien, une intelligence de la communication pour que vous les aidiez correctement, c’est-à-dire que vous n’allez pas du tout chercher un mystère ou quelque chose qui n’est pas dit, il l’affiche, et donc vous traduisez et vous l’aidez, mais ce n’est pas intrusif, vous n’êtes pas en train de chercher à l’intérieur de lui. Pensez votre enfant comme un enfant malin qui  vous donne tout ce qu’il faut pour que vous le compreniez.

L’enfant apporte ce qu’il faut pour que vous lui donniez les mots. C’est très différent de penser un enfant qui vous apporte ce qu’il faut pour communiquer et de penser que l’enfant cache quelque chose que vous allez chercher vous-même, parce qu’en tant que mère, vous savez. Vos voyez la différence ? Parce que ça veut dire que vous restez à l’extérieur, ce qui est très important, c’est cette idée : en vrai, je suis à l’extérieur, je ne me permets pas de penser l’intériorité. Si on parle, c’est parce qu’on est à l’extérieur, c’est justement parce qu’on ne peut plus être à l’intérieur.

Patricia D. : Oui, mais avec un enfant dysphasique, on fait partie prenante et donc on n’est pas à l’extérieur.

V. C. D. : Si ! Vous savez que vous êtes à l’extérieur !

Patricia D. : Oui, mais lui ne le sait pas !

V. C. D. : Eh bien, si ! Lui, il le sait que vous êtes à l’extérieur ! C’est clef ce que vous dites ! Malheureusement, lui, il voit une maman qui ne sait toujours pas qu’elle est à l’extérieur !

Patricia D. : Oui, mais on est obligé d’intervenir beaucoup !

V. C. D. : C’est différent de dire intervenir et de parler d’intérieur-extérieur. Vous êtes à l’extérieur, mais c’est l’enfant qui va vous donner ce qu’il veut vous donner, comme message sur son corps, ce n’est pas vous qui allez le chercher, c’est un leurre.

Christine A. : Ce n’est pas tellement qu’on ne veuille pas les lâcher, c’est qu’ils reviennent toujours pour demander le décodage et c’est difficile de dire : « Non ! Ne reviens pas vers moi ! Va face à cette chose-là ! ». Et puis leur dire « Va dehors ! », il faudrait que l’extérieur soit bienveillant !

V. C. D. : Ce que vous dites est vrai pour la vie quotidienne avec tous les enfants. Ils sont malins, ils vont revenir vers nous. En fait, une chose est sûre, c’est qu’il est nécessaire de mettre en place au quotidien des temps d’exercices avec quelqu’un d’autres que vous et le père. Il faut que l’enfant s’exerce à communiquer avec quelqu’un d’autre. Ce n’est pas obligé que ce soit encore de l’apprentissage, ça peut être un jeu partagé avec sa grand-mère ou son grand cousin, l’important c’est d’être en communication pour s’ouvrir sur le monde. C’est l’idée d’ouverture. Mais c’est vrai que si au quotidien, on lui dit « Non ! », il faut donc lui donner cette richesse des autres corps, des autres visages, des autres voix, des autres traducteurs… C’est ce qu’il y a de plus difficile l’autonomie.

Christine A. : On en vient à faire des étapes. Si on veut qu’elle aille chez le médecin —elle a 20 ans —, on prépare une liste, on décode ce qu’elle va avoir à régler, on la laisse aller seule et si ça ne va pas, on retourne chez le médecin. C’est un exemple, mais c’est comme ça pour tout : pour la banque, etc. A la fois, on voudrait qu’elle soit autonome et on est confronté constamment à ce problème de langage qui donne une relation particulière à l’autonomie.

V. C. D. : Mais est-ce que vous êtes d’accord pour dire que vous avez fait évoluer cette enfant vers l’autonomie ?

Christine A. : Oui, bien sûr !

V. C. D. : A 8-10 ans, l’échec, ce n’est pas grave, on se construit tous les jours avec l’échec, c’est un âge où l’on est protégé par la famille. C’est différent à 20-24 ans, on ne peut pas raisonner pareil. Ce qui est important aussi c’est vous, que vous ne viviez pas d’échec en échec, le banquier qui ne comprend pas, le médecin, etc. Quand on a 20-24 ans, on n’est plus dans une éducation, on est dans une progression. L’échec n’est pas vécu pareil après la puberté et avant. Ce sont deux éducations différentes. On gère différemment l’échec dans la vie quotidienne d’un enfant de 8-10 ans et l’échec d’un adulte.

Pascal J. : Un autre problème de l’enfant dysphasique est qu’il a besoin de répéter. Est-ce que c’est pour se rassurer, je ne sais pas ? Il va nous dire plusieurs fois : « est-ce que je peux faire cela ? », et soit on se lasse, soit on accepte. Et en faisant ça, il ne rentre pas dans l’autonomie. Par exemple, mon fils, qui a 17 ans, est passionné par les transports en commun et il avait envie de faire un circuit Paris-Nancy en bus. Il a conçu son parcours et il nous a saoulés pendant 3 jours pour savoir s’il pouvait réaliser ce projet.

V. C. D. : Et vous lui avez répondu quoi ?

Pascal J. : Que oui, qu’il peut le faire ! Quand ça fait 10 fois qu’on lui dit ! A un moment donné, on ne sait plus quoi lui dire !

V. C. D. : Donc, vous lui dites quoi exactement ?

Pascal J. : Oui, vas-y !

V. C. D. : Et puis quoi ?

Pascal J. : Comme il l’a prévu pour dans 3 jours, il nous le redemande la veille, l’avant-veille, l’avant-avant-veille…

V. C.  D. : Oui, en fait, il y a un temps qui pour lui ne s’écoule pas comme vous à l’intérieur de vous. Qu’est-ce que vous ressentez quand il vous répète ça ?

Pascal J. : … Euh… Ça me fait « chier » !…

V. C. D. : Voilà ! Il vous « emmerde » ! Et vous lui avez dit ?

Pascal  J ; Ah, ça oui !

V. C.D. : Est-ce que dans la relation avec cet enfant, vous ne pensez pas que vous avez pris beaucoup sur vous depuis le début ?

Pascal J. : C’est certain.

V. C. D. : Et il vous fait « chier » et ça lui fait plaisir de vous faire « chier » !

Pascal J : Faudrait peut-être qu’à un moment donné, on arrête !

V. C. D. : Ça, c’est ancien, c’est un style de relation qu’il a trouvé avec vous. En même temps, vous devez rester bien sympa – trop sympa – quand il vous répète son truc… et donc il répète…Avec un enfant dysphasique, il est important d’exprimer clairement ses émotions. Il faut l’air de rien accentuer sans forcer – avec un tout petit on accentue ainsi. Il vous comprend mieux et cela marque la différence. L’expression de l’émotion marque la différence.

Régine T. : Pour illustrer le propos de la résistance des parents face à l’affectif, je viens de vivre quelque chose. On a décidé de mettre notre fils de 8 ans dans un centre spécialisé où vient de s’ouvrir une classe pour enfants dysphasiques pour qu’il refasse son CP. Dans ce centre, on nous avait demandé de le mettre le mercredi matin et une semaine par vacances et au mois de juillet. On nous avait dit que ce temps était consacré à l’éducatif. Les enfants étaient pris en charge par un éducateur et non par un enseignant. J’ai fait de la résistance à ce moment-là, je ne comprenais pas pourquoi mon fils avait besoin d’éducation. J’ai donc refusé, d’où menace du centre. On s’est rendu compte avec mon mari qu’on ne voulait pas jouer le jeu. On avait le sentiment que ce n’était pas aux autres de le faire. Tous les parents rencontrent ce genre de problème. On a finalement compris que l’intervention d’une 3e personne était vraiment importante !

V. C. D. : On se cache derrière le mot éducatif et en fait ce n’est pas ça, c’est beaucoup plus intime et plus profond que ça. Vous parents, vous savez, quelle défaillance habite votre enfant, le fait que l’enfant en votre présence, investit sur votre corps et sur vous quelque chose à un niveau que les autres enfants n’investissent pas. Ils perçoivent sur vous quelque chose qu’ils n’ont pas et ils s’en servent pour se construire, donc ce que vous ressentez au plus intime est juste. Ce n’est pas « je ne veux pas lâcher mon enfant », ce n’est pas une construction psychique, c’est réellement quand vous êtes en présence de lui, il vit une étroitesse de relations qu’il ne vit pas avec d’autres.

D’où l’intérêt d’avoir une structure tierce, mais aussi d’où la vérité de votre attitude, mais il faut vous faire violence. Il n’y a pas de culpabilité à avoir sur ce sentiment d’étroitesse, parce qu’il est vrai.

Agnès L. : J’ai vraiment l’impression que l’autonomie s’est construite parce qu’on a aussi accepté une part de risque chez l’enfant. Pour nous, c’était une angoisse terrible au départ. On ne l’a pas montré, on lui a fait confiance. A l’époque, il n’y avait pas de téléphone portable. Et puis finalement, ça a marché ! Mais c’est vrai qu’on s’est dit qu’il fallait oser le lâcher, alors qu’on avait l’impression qu’il n’y arriverait pas. Et à différents degrés : prendre le métro tout seul par exemple. Et bien, il s’est perdu dans Paris ! Il n’avait pas de ticket ; quand il s’est fait contrôlé, il a donné comme justificatif son forfait de ski de l’année d’avant ! (rires) Il n’avait pas d’argent, il n’a pas pu téléphoner ; mais il s’en est sorti ; ils l’ont remis dans le métro et il est revenu ! Ça n ‘a pas été des échecs terribles, ce n’était pas dramatique, et finalement, c’est grâce à ça qu’il a pu gagner en autonomie, parce qu’il était très fier d’avoir réussi à surmonter ces difficultés. Et depuis qu’il vit au foyer, je me suis rendue compte qu’il accepte que ça ne se passe pas bien, et comme vous le dites, c’est d’autres personnes qui ont pris le relais, qui vont arriver à le faire progresser en autonomie, alors que nous, on ne peut plus.

V. C. D. : Je rebondis sur votre angoisse parce qu’il n’y a pas à la cacher, ce n’est pas parce que vous êtes angoissée qu’il ne va pas vivre. C’est la vie ! Bien sûr qu’il l’a repéré, mais il a quand même fait son expérience. C’est important ! Ce sont des situations où il y a une inflation d’intentions pour l’enfant. Il ne faut pas que vous l’oubliez, vous parents !

Questions aux ados :

Olivier Burger : Est-ce que vous avez envie que vos parents vous « lâchent » un peu plus ?

Florian : Moi, oui, beaucoup !

Marc : Et surtout pour les cours, car on a connu la galère avec ma mère jusqu’à mon passage en 6e, puis après, ça a à peu près roulé, et maintenant, ça va.

Olivier Burger : Est-ce que ta mère a compris que ça roulait ?

Marc : Oui, je crois !

Olivier Burger : Et toi, elle te « lâche » ?

Florian : Oui, mais pas trop tout de même, car on a besoin d’amour !

V. C. D. : Ça, c’est intéressant, car en tant que parents le fait de construire la séparation, de construire l’autonomie est moins fait dans le plaisir que d’être ensemble. Ça nous fait violence à nous de nous séparer, donc malgré nous, alors que ça pourrait être beaucoup plus simple d’éduquer, mais c’est normal. C’est dommage. Winnicott, ce psy anglais, dit qu’en fait, être autonome, ce n’est pas être seul dans sa chambre, c’est en présence de l’autre, préférer jouer seul. Il préfère un jeu à vous

Marc : Je suis en 4e, ma mère me demande chaque soir en rentrant du collège, si ça s’est bien passé, ce que j’ai fait en cours… Je lui dis en gros, mais j’en ai assez… Je lui dis que ce n’est pas forcément utile.

V. C. D. : Et le jour d’après, elle te repose la même question ?

Marc : Oui !

V. C. D. : Tu n’as pas dû te faire bien comprendre ! C’est toi qui as raison, ce n’est pas utile, effectivement. Pourquoi ça n’a pas d’effet ce que tu dis ? Il faut que tu lui fasses comprendre. Parce que ta parole est précieuse. A ton âge, c’est toi qui dois transformer les adultes. C’est toi qui dois apprendre à ta mère ce qu’est un enfant de ton âge dans la société d’aujourd’hui ! C’est très important ce que tu dis. Si tu le dis sans y croire, elle ne t’écoutera pas !

V. C. D. : S’il veut vous raconter une difficulté, votre enfant le fera, mais quand on pose la question « qu’as-tu fait aujourd’hui ? », on balaie la journée…

Vincent Lochmann : Il faut comprendre l’importance que peut avoir l’autonomie pour eux. Mon fils vient de commencer à travailler dans la restauration. Pour préparer son CAP, il a trouvé un job dans un resto comme plongeur. La plonge dans un resto, c’est le boulot que personne ne veut faire, mais pour lui, ça a été un immense bonheur et une vraie fierté de faire quelque chose tout seul, d’avoir touché son premier salaire. Et pourtant, pour nous, ça n’a pas été simple. On avait tellement galéré avant, on était tellement intervenu en toute circonstance pour l’aider, pour arranger les choses, pour servir de tampon, qu’au départ ce n’était pas évident. Mais on a été très bien conseillé par l’entreprise qui l’a embauché, qui nous a dit de rester à notre place. Alors, bien sûr, on était comme des pompiers… avec le casque, les bottes et la lance, et le moteur du camion allumé, au cas où… mais n’empêche, même s’il faudra peut-être un jour intervenir, on a pu le laisser seul et le laisser profiter, enfin, d’une réelle autonomie.

VCD : Pour conclure, je dirais que les enfants dysphasiques nous rappellent beaucoup plus que d’autres que c’est de la différence que vient la communication, la preuve en est aujourd’hui. Au-delà des services que peut rendre une telle association, vous avez aussi créé des clubs d’activités selon les âges. Grâce à eux, vous allez bien plus loin que vos objectifs, vous multipliez les rencontres qui souvent sont espacées par l’usage des nouvelles technologies.

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