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Apprendre à écrire pour s’approprier le goût des mots

Résumé

Apprendre à écrire pour s’approprier le goût des mots

Mon expérience clinique auprès d’enfants qui ont des troubles graves de la personnalité et un programme de recherche sur les précurseurs de la parole m’ont amené à modéliser la mise en place du système perceptif, d’une façon nouvelle. Ce  modèle  affine la compréhension de la communication du bébé et ouvre des voies sur l’autisme.  En étudiant  l’enjeu du système perceptif dans l‘apprentissage de l’écriture, on peut espérer améliorer son enseignement en maternelle. Dans la première partie de cet article,  je montre comment la mise en place du système perceptif construit les précurseurs de la parole. Dans la deuxième partie, je décris les enjeux du système perceptif dans l’apprentissage de l’écriture.  L’école maternelle étant la période charnière pour garantir la réussite de l’acquisition de l’écriture en CP, je propose des repères pour favoriser l’apprentissage des précurseurs de l’écriture.

Summary

Learning to write in order to appropriate the taste of words.

My clinical experience with psychotic or autistic children, as well as an achieved research project about precursors of language led me to model the set up of the perceptive system of children, following an innovative approach. The model refines the understanding of the baby’s communication and sets new promising paths about autism. Studying the stakes of the perceptive system in the process of learning to write is expected to improve ways of teaching in nursery school.  In the first part of this paper, I try to show how the set up of perceptive system leads to building up precursors of language. In the second part, I give a description of the stakes of the perceptive system in the process of learning to write. Kindergarten being the key period to secure a future acquisition of writing at prep school, I suggest some benchmarks that could help learning the precursors of writing.

Mots clefs

Ecriture, école maternelle, perception distale, système perceptif  proximale, graphologie

Key Words

Writing, nursery school, distant perception, proximal perception, proximal envelope function, graphology

Valérie Combes, psychologue clinicienne, psychothérapeute, exerce en profession libérale à Paris. Ses références sont les œuvres de D. W. Winnicott, P. Aulagnier, J. McDougall et P. Quignard. Elle est expérimentée dans la clinique de l’autisme, de la psychose et des troubles graves du langage. Les enfants qui avaient des troubles graves de la communication, lui faisaient vivre des phénomènes en thérapie qu’elle ne rencontrait pas dans la littérature. Elle constatait qu’ils évoluaient, de manière remarquable, sans parvenir à décrire ce qui se passait. Elle décide d’initier une recherche sur les précurseurs de la parole : PILE, Programme International pour le Langage de l’Enfant, 2004 à 2008, codirigé avec le Professeur B. Golse (Hôpital Necker-Enfants Malades, Paris). Il en est résulté un modèle de la mise en place du système perceptif.  Sa nouveauté vient de l’originalité de sa clinique quotidienne et d’une longue expérience avec les bébés. Ce modèle a le mérite de conceptualiser « être en communication » à l’opposé de « faire de la communication ».

Confronter  ce nouveau modèle avec  l’apprentissage de l’écriture permet d’en apporter une meilleure compréhension et d’aider à sa transmission. Cet article traite de l’apprentissage des précurseurs de l’écriture en maternelle dans la perspective de la maîtrise de l’écriture en CP. Les enfants ont acquis le langage oral, ils ont entre 3 ans et 5 ans. Dans la première partie de cet article,  elle montre comment la mise en place du système perceptif construit les précurseurs de la parole. Dans la deuxième partie, elle décrit les enjeux du système perceptif dans l’apprentissage de l’écriture.  L’école maternelle étant la période charnière pour garantir la réussite de l’acquisition de l’écriture en CP, elle propose des repères pour favoriser l’apprentissage des précurseurs de l’écriture.

La recherche, le programme PILE

Elle tente de répondre aux questions : comment le bébé construit sa communication avec sa mère ? Comment cette communication permet l’émergence de la parole ?

Le Domaine et le cadre

Le cadre de recherche doit être organisé en sachant que le fil conducteur  ne peut pas être un raisonnement linéaire à partir d’une hypothèse. Pour accéder à des processus en deçà de la représentation, l’action doit structurer la recherche avant le raisonnement. Par exemple, les idées viennent d’expériences comme la clinique avec des enfants autistes ou psychotiques et la rencontre avec des bébés. On étudie le bébé  en train de construire son système pour parler en communiquant avec sa mère.

La représentation permet de se poser dans un repère espace-temps. Avant la représentation, c’est le mouvement qui caractérise les phénomènes. Pour saisir des phénomènes en deçà de la parole, on ne s’intéresse pas au contenu de la communication mais à son système d’organisation.

C’est le langage qui permet d’accéder à la partie d’un tout. Donc en deçà de la parole, on travaille au niveau de la globalité dans le temps et dans l’espace. Pour respecter la globalité de l’espace, on analyse la synchronisation des mouvements du corps du bébé à l’opposé de faire une étude approfondie de chaque mouvement. L’analyse est faite sur la synchronisation des mouvements de la voix, du regard et des mains. Pour respecter la globalité dans le temps, on étudiel’évolution du système. Le support est le film pour accéder à l’évolution, sur un temps court comme la minute et sur un temps calendaire. La mère est considérée comme un système de mouvementsqui forment un ensemble cohérent.On ne s’intéresse pas aux fonctionnements intérieurs dubébé et de la mère mais on tente de modéliser ce qui sepasse dans l’espace entre le bébé et la mère.

Deux questions doivent donc être traitées :

  • Comment l’information circule en fonction du système perceptif ?
  • Comment le bébé construit l’organisation de ses mouvements à partir du système cohérent des mouvements de la mère ?

La parole du bébé s’est construite dans les mouvements de la mère.

L’installation

L’installation est définie en respectant la globalité du temps et de l’espace.

  • Principe de spontanéité pour être dans une relation normale. Aucun instrument de mesure qui gène l’interaction. On mesure la parole qui est en train de se construire.
  • Entre 3 mois et 9 mois car à partir de cet âge, le bébé est capable de rester assis 15 minutes dans le transat. Or le modèle montrera que c’est un âge clef pour les précurseurs dû à cette distance où, déjà, le bébé est séparé tout en étant dans la sphère de la mère.
  • Dans la cellule vidéo, le bébé est installé dans un transat pour être filmé dans une même situation tous les mois. L’important est de saisir l’évolution à une échelle d’une minute et à une échelle calendaire.

Statistiques

L’élément statistique n’est pas le bébé mais une séquence d’une minute, l’étude étant le processus de construction de la parole.

La population est de 110 bébés, âgés de 3 à 9 mois, rencontrés mensuellement.

Les résultats sont issus du traitement statistique d’une base de donné. Elle est informée par des données qualitatives saisies par des cliniciennes qui visionnent les films.

L’idée centrale était de ne jamais lâcher  la globalité du bébé en interaction avec sa mère, ce point est  important il distingue cette recherche d’une approche comportementale où les études se mènent sur des fonctionnements partiels des modes perceptifs. Ce travail a pu être mené de bout en bout au niveau de la globalité parce que la pensée était façonnée par des expériences cliniques.

Modélisation du système perceptif

Les modes perceptifs s’exercent sur des mouvements et non des choses fixes. Exemple, Le bébé perçoit une voix par l’audition  ou un mouvement de main par la vue.

Dès in utero et au début de la vie du bébé les 5 modes perceptifs, le toucher, l’odorat, le goût, l’audition et la vue créent des alliances. Ce phénomène est appelé comodalité. Le système perceptif s’organise, se consolide  et s’affinent dans son exercice. Exemple : le bébé perçoit en même temps les mouvements de la voix et de la main.

On distingue une perception proximale et une perception distale. Un événement est vécu de manière proximale quand les modes perceptifs demandent d’être proches de ce qui est perçu. Il est distal quand la perception s’exerce à distance.

Le système perceptif proximal

In utero, la comodalité s’exerce au niveau des cinq modes perceptifs, l’audition et le toucher jouant un rôle fondamental. Les sons maternels sont reçues sur l’ensemble des tissus. L’aptitude de l’ensemble des tissus à la réception des sons, rend le toucher très fortement comodalisé à l’audition. La comodalité du toucher et de l’audition est prépondérante. Cette alliance rend les cinq sens proximaux.

A la naissance, l’audition est proximale par sa comodalité avec le toucher.

Pendant la tétée, trois modes sont sollicités en même temps au niveau de la bouche : le toucher, l’odorat, le goût, ils sont proximaux. Quand le bébé tète, il crée un mouvement commun pour les trois modes et réalise un son suffisamment audible pour stimuler l’audition A. La fréquence de la succion est construite dès in utero. La texture agréable du son de la succion, indique qu’il est perçu par une audition proximale. Cet acte de succion est un acte fondamental du bébé qui entre en tant qu’acteur dans la langue maternelle. Plus précisément, c’est la première entrée du bébé par le système perceptif dans la langue. La tétée renforce une comodalité proximale avec les quatre modes perceptifs : toucher, odorat, gout et audition. Dans la succion, la fréquence est simple et assure une solide comodalité, tout ceci rend la comodalité proximale plus sure à réaliser.

Le bébé au début de la vie regarde les points brillants du visage tout en activant la succion et en sentant le liquide dans sa bouche. Par cet événement, la vue se construit en se reliant aux autres sens. Elle est au début de la vie de nature proximale. Puis lorsque l’expérience est solide, le bébé en regardant la mère, peut solliciter cette expérience psychique sans téter. Le contact du regard est à jamais lié à la perception proximale.

Lorsqu’on se regarde, on ne crée pas une image de l’œil mais une sensation de se toucher pour se rencontrer. La vue dans la communication est présente en proximal.

L’ensemble du corps et particulièrement les zones comme la bouche, les yeux, le nez, les oreilles et les extrémités comme les mains et les pieds sont  sollicités lors de l’établissement du système perceptif proximal.

L’établissement de la perception proximale est la garantie d’entrer dans la langue et de se rencontrer.

Etre touché dans la communication est dû à la vue proximale et à l’audition proximale. Dès qu’on entend une voix ou qu’il y a un contact du regard, le système perceptif proximal est sollicité. La rencontre ne peut avoir lieu sans cette rencontre proximale.

La perception distale

Juste avant, après ou pendant la tétée, le bébé perçoit en même temps les expressivités du visage et de la voix maternelles par la vue et  l’audition. Expérience après expérience, la comodalité de l’audition  et de la vue s’organise chez le bébé. Cette comodalité de la vue et de l’audition est distale. Le moteur de la mise en place de la perception distale par la comodalité de l’audition et de la vue est la langue maternelle (ou les langues des adultes référents).

La communication distale concerne des mouvements partiels : ceux du visage, de la voix et des mains contrairement à la communication proximale qui est au niveau de l’ensemble du corps. Les mouvements perçus en distal sont des macromouvements, ils sont plus facilement perceptibles par le bébé. En percevant ces mouvements organisés par la langue, le bébé donne un sens commun à ce qu’il vit.

La perception distale n’est pas indépendante, elle s’exerce alors que la fonction enveloppe proximale est sollicitée, les macromouvements  partiels s’organisent par le système intelligent et complexe de la fonction enveloppe proximale. Les macromouvements partiels finissent de structurer la fonction enveloppe proximale.

Au début de la vie, le bébé continue de constituer sa perception proximale essentiellement avec le corps de la mère puis en grandissant il s’en éloigne et il  ajoute à la perception proximale, la perception distale. La fonction de représentation apparait au même moment que la perception distale.

La perception comodale de l’audition et de la vue en distal participe à la dimension de « se comprendre » dans la communication.

La vue et l’audition ont une double fonction en proximal et en distal. Grâce à cela, il y a une intrication du système perceptif proximal et de la perception distale. Quand vous communiquez, donc toujours en distal, vous maintenez  une dimension proximale par le contact du regard et par le son de la voix. La communication est cette alchimie de « se toucher » par le proximal  et de « se comprendre » par le distal en percevant le corps.

Les micromouvements et les macromouvements

Le système perceptif  proximal est un système complexe et cohérent, construit avant la naissance et qui s’enrichit et s’affine au cours des interactions précoces. Ce système complexe de micromouvements est constitué lors de la réception des sons du corps de la mère pendant la vie in utero. Les sons maternels sont formés des sons biologiques (cœur, respiration) et des sons de la langue. Dès le début de l’embryogénèse, les organes perceptifs sont animés de micromouvements. La qualité de la comodalité est liée à la qualité des micromouvements des tissus. Puis lors des interactions, le bébé construit son audition et sa vue en distal par les macromouvements du visage et de la voix maternels. Les macromouvements sont reçus sur cette base que forme le système perceptif proximal, ils obéissent donc à un système déjà existant qui a l’intelligence de la langue. Par leur taille en comparaison des micromouvements, les macromouvements agissent à d’autres niveaux d’organisation.

La fonction enveloppe proximale

On regroupe l’ensemble des processus du système perceptif proximal dans la fonction enveloppe proximale. Il ne faut pas entendre « enveloppe » comme une représentation mais bien comme une fonction. Elle évolue durant la mise en place du système perceptif proximal.  Elle est caractérisée par les vécus psychiques contenant des éléments perceptifs proximaux.

La fonction enveloppe proximale ou l’unicité normale

La fonction enveloppe proximale prend origine in utero par la comodalité des cinq sens stimulés par les sons maternels avec le toucher et l’audition dans un rôle privilégié. Les sons sont caractérisés par la langue et les fonctionnements biologiques. La fonction enveloppe proximale est « normale », car elle est inscrite dans la normalité de la langue et l’universalité du fonctionnement du corps. Le bébé est organisé dans une normalité commune. Ceci est la garantie de la communication.

A chaque événement perceptif, le bébé est habité d’une coloration émotionnelle. Chaque vécu psychique est unique par l’élément émotionnel. L’ensemble des vécus psychiques forme un ensemble unique.

Ce double caractère de la fonction enveloppe proximale normale et unique, détermine un enfant dans sa spécificité adaptée à la normalité.

La fonction enveloppe proximale est une fonction d’unification

L’élément perceptif du vécu psychique est lié à une partie du corps ou/et à l’ensemble du corps.  Par exemple : le son est reçu sur l’ensemble du corps, un toucher concerne une partie du corps. Un vécu psychique est donc localisé dans le corps. La comodalité des 5 sens, tous ensembles, relie tous les vécus psychiques. Cette unification de l’ensemble des vécus psychiques situés par rapport au corps, garantie une unité inscrite dans le corps.

La fonction enveloppe proximale n’est pas à comprendre comme une limite extérieure qui entoure le corps. Elle est  une fonction qui unifie. Elle fait fonctionner ensemble et harmonise l’ensemble. La fonction enveloppe proximale modèle le corps par un système de mouvements cohérents avec la langue. A chaque fois qu’il y a un usage de la perception proximale, il y a sollicitation de la fonction enveloppe proximale donc l’ensemble du corps est mobilisé.

La fonction enveloppe proximale est une fonction de lissage et de continuité.

Dans une communication entre deux interlocuteurs, la voix, l’expressivité du visage, les mouvements du corps sont des mouvements continus, fluides et cohérents. Par contre ils sont captés par le système perceptif en discontinuité. Les doigts aussi créent un mouvement fluide à travers l’écriture. Tous ces mouvements sont en harmonie avec la langue. Cette fluidité est assurée par les micromouvements qui forment un substrat sur lequel les macromouvements s’organisent. Grâce à cela, ces mouvements sont lisses et harmonieux. Lissage et continuité de mouvements du corps s’opposent à une voix en rupture et à des mouvements de mains et du regard qui seraient saccadés.

La fonction enveloppe proximale et le code des émotions.

Lorsque le bébé regarde sa mère,  il ne crée pas une image de l’œil mais une sensation de se toucher.  Ceci est dû à la perception proximale qui est en jeu. Il perçoit aussi en proximal l’environnement de l’œil. Cette zone riche en micromouvements affiche un message subtil et complexe lié aux émotions. Ce message est décodé par la perception proximale. De la même façon, la vue proximale agit dans la zone autour de la bouche et l’audition proximale dans le décodage émotionnel de la voix. Dès le début de la vie, le bébé qui perçoit en proximal le visage et la voix instruit sa fonction enveloppe proximale du code émotionnel.

Puis le code émotionnel s’enrichit des macromouvements du corps et tout spécialement ceux qui sont présents au niveau de la bouche.

La fonction enveloppe proximale et l’expression des émotions

Pour être compris de l’autre, le bébé doit exprimer les mêmes mouvements selon le code des émotions au niveau du visage et de la voix. La voix et l’expressivité du visage sont complètement en phase. Le nerf moteur de l’étrier provient du nerf facial et le nerf moteur du marteau provient du nerf mandibulaire.

L’écoute est liée à l’expressivité du visage.

La fonction enveloppe proximale permet de construire l’expression des émotions et de donner accès aux émotions.

La fonction enveloppe proximale se construit obligatoirement en relation avec l’autre, essentiellement la mère. La relation qui permet la construction de la fonction enveloppe proximale est l’accordage proximal.

L’accordage proximal

Etre en accordage proximal est un état particulier où l’on se met en présence de l’autre. L’accordage proximal se crée entre deux individus par la captation à hautes fréquences des micromouvements. Pour faciliter cette captation, il faut une disposition corporelle de lâcher prise sur l’ensemble du corps. L’audition et la vue doivent être sollicitées en proximal. Un bon contact de regard accompagné d’une voix riche en sons proximaux favorise l’accordage proximal. C’est le bébé qui convoque l’adulte en accordage proximal et qui guide la mère dans l’évolution de l’interaction. Seul le bébé est capable d’émettre des sons proximaux pour créer l’accordage proximal. La mère reçoit sur l’ensemble de son corps les sons proximaux qui sollicitent une captation à des fréquences élevées. Le contact du regard ensuite participe à l’accordage proximal. Après l’accouchement et pendant quelques mois, la mère est plus apte à instaurer l’accordage proximal.

L’accordage proximal est l’origine du processus de l’attachement. La qualité de l’accordage proximal détermine la bonne évolution de la  fonction enveloppe proximale qui est le cœur de tous les processus qui fondent l’être.

Ce modèle de la mise en place du système perceptif au début de la vie met en évidence une nouvelle manière de penser l’usage de l’audition et de la vue qui selon une sollicitation proximale ou distale n’interviennent pas au même niveau psychique. L’audition et la vue en proximal agissent liées à l’ensemble du corps. Notons que l’usage de la perception proximale convoque le sujet au niveau de l’être, c’est par elle qu’il est en contact avec lui-même. Par contre l’audition et la vue distales s’exercent de manière partielle sur la voix ou l’expressivité du visage. L’exercice de la perception distale est celle qui gère la communication dans une compréhension mutuelle.

L’apprentissage des précurseurs de l’écriture en maternelle et le système perceptif

Le système perceptif de l’enfant en maternelle

L’enfant en classe maternelle, a un système perceptif entièrement construit. Il est apte à entrer en maternelle pour communiquer dans un groupe mené par une maitresse. Il a un système perceptif adapté à une communication de loin avec la dimension proximale. Il utilise encore beaucoup son système perceptif proximal, ce qui se traduit par le fait qu’il ait besoin de toucher le corps de la maîtresse. Il s’approche d’elle pour recevoir sa voix en proximale, la voix est ainsi reçue sur l’ensemble du corps. La maîtresse se mettra à hauteur de l’enfant pour favoriser un bon contact du regard (une vue proximale). Mais en même temps, l’enfant est capable d’être assis sur sa chaise et de se concentrer sur ce qui est dit par la maîtresse, il est donc capable de communiquer en distal.

La maternelle est le temps où l’enfant modifie la place du système perceptif proximal (favorisé dans la relation maternelle) et celle de la perception distale pour atteindre un mode de communication classique. Ces remarques de comportement dans la communication sont valables dans tous les lieux de vie de l’enfant.

L’écriture en maternelle et l’intériorité

L’apprentissage de l’écriture est réussi si des processus liés à l’être sont en jeu. Dans ce modèle, nous avons vu que c’est  la fonction enveloppe proximale qui est au niveau de l’être. L’enfant doit avoir une fonction enveloppe proximale suffisamment bonne pour vivre l’écriture comme un acte personnel.  Quand l’enfant écrit, il met en jeu le toucher par le tracé de son crayon sur le papier, il sollicite donc sa fonction enveloppe proximale. On peut analyser l’acte décrire par les caractères analysés ci-dessus de la fonction enveloppe proximale.

Nous avons vu que la fonction enveloppe proximale a un caractère normal et un caractère unique qui détermine un enfant dans sa spécificité adaptée à la normalité. Ecrire est une entrée dans une culture qui requiert ces deux caractères de détenir une normalité culturelle par la langue et une spécificité par son histoire personnelle pour se sentir exister en particulier mais toujours inscrit dans la langue. Il en est ainsi pour l’enfant de trois ans.

Quand l’enfant écrit, il est unifié.  Au niveau de l’enfant cela signifie qu’au début de l’apprentissage de l’écriture, il est pleinement présent dans ce qu’il fait, il est entièrement dans son écriture, il en est proche.

La fonction enveloppe proximale a été instruite d’un code émotionnel. Ce codage des émotions est utilisé lors de la perception des mouvements expressifs du visage et de la voix et ce même code organise le sens émotionnel dans l’intériorité de chacun. Lors de l’apprentissage de l’écriture l’enfant introduit le code émotionnel dans les mots écrits.

En résumé, la fonction enveloppe proximale dépendante de la perception proximale crée chez l’enfant une fonction d’unification. Cette enveloppe sollicitée réveille un sentiment d’unicité faisant partie d’une normalité et enfin elle permet d’accéder aux émotions.

On en conclut qu’il faut que l’enfant qui arrive en maternelle, ait construit une bonne fonction enveloppe proximale pour écrire non pas comme une machine mais en étant concerné par son apprentissage. Les enfants à cet âge sont effectivement très investis sur les tâches réalisées. En même temps, on n’imagine pas que l’enfant conserve cette implication dans l’apprentissage des signes écrits ou oraux, sa scolarité exigerait un investissement trop important.  Une évolution est nécessaire. Elle doit définir de nouvelle place à l’usage du système perceptif proximal et de la perception distale.

En maternelle, pour assurer un apprentissage de bonne qualité, la maîtresse doit  maintenir dans la communication le registre de « se toucher »  pour que l’enfant puisse accéder au registre de « se comprendre ». Elle doit avoir plus de distance que dans une relation maternelle pour communiquer en faisant évoluer les deux registres le proximal et le distal.  L’enfant perçoit sur le corps de la maitresse des macromouvements par une perception distale de l’audition et de la vue et des micromouvements par sa perception auditive et visuelle proximales. Plus concrètement l’enfant perçoit plus aisément la signification des mouvements du visage, de la voix et des mains de la maitresse si son  corps est  détendu et rassemblé dans l’expérience vécue. Les mouvements sont alors organisés dans un système dont le sens est plus continu et plus riche, les détails des micromouvements sont plus facilement repérables. Pour maintenir une dimension proximale nécessaire à cet âge, un bon contact du regard et une voix proche est la garantie de solliciter le système perceptif proximal dans la communication. Un travail au niveau proximal cela signifie obligatoirement une rencontre au niveau global. C’est l’ensemble du corps qui est mobilisé pour mieux transmettre les apprentissages.

Pour penser plus finement l’acquisition de l’écriture on se demande quels modes perceptifs sont sollicités pendant cet apprentissage. Le toucher est sollicité dans l’écrit : le feutre, le crayon, la craie se déplaçant sur un support, créent une sensation de toucher importante. L’enfant sent les mouvements de son crayon organisés par des micromouvements et des macromouvements. L’enfant suit du regard le trait réalisé, il sollicite des vécus psychiques où sont comodalisés les cinq modes perceptif selon  l‘organisation proximale. Parfois, la réalisation du tracé fait un son. La mise en jeu du toucher, signifie que c’est le système proximal qui est sollicité avec la fonction enveloppe proximale. La sollicitation de la fonction enveloppe proximale explique l’investissement et la sensation de présence chez un petit enfant en apprentissage. Il est dans une grande concentration, un bon rassemblement de lui-même. L’apprentissage de l’écriture participe au renforcement de la comodalité des modes perceptifs proximaux grâce au geste de l’écriture.  Les modes perceptifs déjà comodalisés par la langue orale introduisent l’enfant dans l’écriture et  l’apprentissage de l’écriture consolide la comodalité et la fonction enveloppe proximale. La transmission de l’écrit n’est pas seulement pour l’enfant l’acquisition d’un outil mais bien la poursuite de la construction de son identité dans une culture. Bien que l’écriture soit constituée de macromouvements, l’apprentissage se fait en mobilisant la fonction enveloppe proximale. Ce système complexe et intelligent de micromouvements est organisé par la langue et par le code émotionnel. L’écriture est donc sculptée par le plus intime et par le rythme commun de la langue. Pour que l’écriture soit une expressivité intérieure, elle doit se former au niveau du proximal.

A la naissance, on peut observer la fonction enveloppe proximale au niveau du visage et particulièrement du regard, des mains et des pieds. Les mains bougent avec les vocalises pour se préparer à communiquer ensemble dans le langage oral. On peut trouver sur le blog des mesures statistiques décrivant ce phénomène à la rubrique de la recherche sur les bébés. Les mains sont modelées très activement par les micromouvements de la langue.  L’écriture est un apprentissage au niveau des macromouvements mais qui n’est possible que dans la mesure où les mains ont déjà l’intelligence du fondement de la langue. Le regard aussi a un mouvement construit dans la langue orale, il continue à s’harmoniser avec la main grâce à l’écriture. La détente de l’enfant améliore l’ensemble de la coordination au niveau des micromouvements pour que les macromouvements de la main et du regard prennent forme.

La rencontre de l’écriture doit débuter avec une dimension importante en proximale pour évoluer vers un exercice plus distal. L’objectif est d’atteindre une écriture dans une perception en priorité distale comme dans la communication orale et qui garde une dimension « d’être toucher » grâce à l’alchimie qui se joue entre l’audition et la vue utilisées sur les deux modes proximal et distal.

La nécessité de la présence de l’autre pour l’apprentissage de l’oral est une évidence puisqu’on parle avec l’autre. Par contre pourquoi la présence de l’autre est-elle obligatoire pour l’apprentissage de l’écriture alors que  l’écriture s’exerce seul ?

On sait que certains enfants ont besoin d’une présence encore affective  pour les accompagner dans l’apprentissage de l’écriture. Cette présence qui revient à une communication avec une dimension proximale majeure, favorise les mouvements proximaux chez l’enfant. Mais la clef de la réussite de l’apprentissage de l’écriture en maternelle concerne au contraire le distal.

L’écriture en maternelle et  l’intégration des règles

De manière générale, la transmission des règles doit se faire sans affect et sans désir, l’adulte doit être ferme mais ne doit pas brouiller le message par son histoire personnelle. Si on comprend facilement cela au niveau du contenu des règles, c’est aussi une évidence dans la manière de les transmettre. L’enfant d’une personne à l’autre doit percevoir dans la voix et le visage un message constant qui caractérise les règles. Moins  la voix et l’expression du visage se laissent influencées par l’histoire personnelle plus le message est commun. Le registre de la transmission des règles est donc en priorité distal. L’enfant intègre les règles en percevant le visage et la voix de la maitresse par l’audition et par la vue distales et bien sûr toujours ancrées dans le proximal. La règle doit venir résonner jusqu’au plus intime.

C’est un exercice que l’enfant fait depuis qu’il est bébé quand il percevait en distal le système « voix-visage » de ses parents qui était modelé par la langue. Les ancêtres de la règle, sont les repères spatiotemporels construits en références au corps des parents (rythme du corps le matin, odeur du soir etc).  Le bébé a acquis une référence de repères spatiotemporels inscrits dans son corps.

Comme les parents, la maîtresse pose un cadre spatiotemporel qui organise la vie de la classe et qui place l’enfant dans un cadre régi par des règles. Les rythmes organisateurs du temps et de l’espace et les rythmes de la langue sont participatifs des règles organisatrices de l’ensemble du système. Le cadre existe à des niveaux d’organisation générale comme le rythme de la journée et à des niveaux plus spécifiques comme celui de l’exploitation de la feuille. L’acte d’écrire au cours de la maternelle puis en CP finit de consolider les repères spatiotemporels et l’intégration des règles qui a débuté dès la naissance. L’écriture est la finalité de  l’intégration subtile de la règle et du rythme social. Par l’écriture l’enfant acquière définitivement la notion du temps et de l’espace  dégagé du corps de la mère. L’écriture est un processus qui ne peut s’enclencher sans un certain niveau d’autonomie et qui est une étape incontournable pour avoir une place de sujet dans une culture. Maîtriser l’écriture de la langue signifie  gérer l’espace et le temps et atteindre un niveau d’intégration de la règle qui laisse libre l’enfant de s’intéresser au contenu au-delà de l’outil. Maîtriser l’écriture  c’est être inscrit dans les règles de la langue. S’il faut retenir une caractéristique de la période de maternelle, c’est la finalisation de l’intégration du processus d’obéissance. L’enfant n’a pas la connaissance de toutes les règles mais il est apte à obéir pour vivre en groupe et pour intégrer les apprentissages.

Au cours de l’apprentissage de l’écriture, le système perceptif proximal est de moins en moins sollicité en premier pour  laisser à la première place le système perceptif distal. Cette progression est parallèle à l’évolution de la forme du signe vers la norme. Plus l’enfant parvient à réaliser un signe en tenant compte d’une règle plus il s’inscrit dans la norme plus il relie son intimité à la norme. Le petit enfant vit beaucoup d’émotions dans la réalisation des traits puisqu’il est mobilisé globalement par le système perceptif proximal. Puis en grandissant l’enfant est capable de réaliser des signes avec un investissement personnel moindre en suivant les règles qui organisent la normalité. Il faut distinguer le moment de l’apprentissage où l’enfant est entièrement « pris » par la tâche d’écrire, il est emporté par le mouvement de l’exécution. Et le moment où il prend conscience d’une trace qui est immobile et qui est indépendante de lui. Cette trace est réutilisable et manipulable.  Il faut ce deuxième stade pour considérer que l’écriture est acquise. Ce stade est acquis si cette trace est perçue en premier en distal. Si la trace est trop perçue en proximale, elle est liée à des vécus psychiques qui touchent et elle n’est pas indépendante du contexte. Acquérir l’écriture signifie que l’enfant a intégré ce système de codes du langage  au niveau de la perception distale pour qu’il devienne un outil commun à tous. Autrement dit quand l’enfant écrit le « a » c’est un trait commun à tous qui n’est pas lié à ses émotions. Cette transformation nécessaire est dû au fait que le trait est manipulable et réutilisable.

« Apprendre à écrire pour s’approprier le goût des mots »

« Le goût des mots » évoque un réveil des sens qui fait vivre l’écriture. L’enfant se sent concerné par l’action d’écrire. Il se sent engagé. On ne se limite pas à une acquisition de l’exécution d’une tâche ou de connaissances mais une expérience globale au niveau de l’être. « S’approprier » signifie que l’enfant est un sujet actif et autonome qui dans un mouvement général d’apprentissage vit une expérience qui le renouvelle. C’est l’acte de s’approprier non pas les mots mais bien le goût des mots qui ouvre sur le sens de l’écriture pour soi et pour les autres.

L’acte d’écrire est réalisé par  la main et par le regard au commencement avec une perception proximale majeure. La sollicitation de la perception proximale mobilise les cinq sens, le goût, l’odorat, le toucher, la vue et l’audition et mobilise l’ensemble de la personnalité.  L’acte d’écrire instaure un lien entre une action maîtrisable par la main et le regard et une alchimie de l’ensemble des cinq sens en harmonisant  l’ensemble de la personnalité. Puis l’écriture se plie aux règles du groupe et de la langue pour se vivre aussi au niveau distal. Cette harmonisation qui scelle à jamais le proximal au distal dans le mouvement de la langue écrite, ouvre à l’enfant un accès à son intériorité qu’il peut  désormais en partie maîtriser ou au moins organiser par la langue. Chaque acte  d’écrire garde à jamais sa puissance organisatrice pour la personnalité.

Avant l’apprentissage de l’écriture, l’enfant partage ses émotions et ses sensations en parlant, l’expérience est dans l’instant. « S’approprier le goût des mots » permet à l’enfant d’écrire un récit en vivant des émotions proches de celles de la parole mais il n’a plus besoin d’interlocuteur. Ce sont les mêmes processus qui lui font découvrir le délice de la lecture silencieuse.

Conclusion

L’apprentissage de l’écriture est sans doute celui qui mobilise chez l’enfant les processus psychiques les plus complets et les plus complexes. Bien que la lecture n’ait pas été traitée dans cet article, la transmission de l’écriture et de la lecture sont indissociables comme le savent les enseignants. Cette étude veut attirer l’attention sur l’importance du rôle du système perceptif dans ces apprentissages, elle ne vient pas en concurrence avec les approches déjà existantes mais les enrichit. L’apprentissage de l’écriture décrit à travers le rôle du système perceptif,  met en évidence les effets organisationnels dans la personnalité de l’enfant et l’impact de la relation de la maîtresse.

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